
La candidature de la France aux JO 2030
A l’heure où la question climatique n’est quasiment plus remise en question, où le problème de l’eau se fait de plus en plus prégnant, la candidature de la France pour les JO d’hiver 2030 devrait faire débat. Or il n’en est rien.
Une table ronde organisée par Oui Annecy ! le 09 février 2024 a réuni 6 intervenants*, experts de la montagne pour nous soumettre leurs arguments. Une centaine de personnes assistait à l’évènement. La réunion a duré 2H30 mais aurait pu se prolonger bien plus tard. Parce que le sujet interroge. Et la question qui fait débat est justement qu’il n’y a pas de débat.
Valeurs sportives ou valeurs financières ?
Mais soyons honnêtes, les JO sont fédérateurs : qui n’a pas déjà vibré devant une compétition sportive, une équipe de France qui marque un but ou un essai, l’hymne national qui retentit pour une médaille d’or ? Le sport est essentiel et véhicule des valeurs importantes. Selon Romain Riboud, qui participe à l’organisation des JO 2024, les jeux créent véritablement de la valeur sur le territoire et développent les pratiques sportives, comme l’apprentissage de la natation pour les jeunes de Seine Saint-Denis. Et même si l’Etat devrait investir dans le développement des territoires, sans attendre de tels évènements, les JO 2024 ont tout de même permis la mise en place d’un fond de dotation de 50 millions d’€ à l’attention de l’insertion professionnelle, de l’éducation et plus de 1000 projets aidés ont pu voir le jour. De plus, informe-t-il ,75% des marchés sont attribués aux TPE et PME du territoire.
Cependant, selon Eric Adamkiewicz, aucune manifestation internationale n’est rentable. Les retombées sont de 0 (1 euro récupéré pour 1 euro investi); la transformation est quasi nulle et la décision pour les JO 2030 est prise avant même d’avoir les résultats financiers (dépenses/recettes) des JO 2024.
Des jeux sobres et responsables
Mais, on se dit que de grands projets vont voir le jour afin d’avoir des jeux sobres et responsables ? Selon Valérie Paumier, les 2 secteurs les plus émetteurs de CO² sont la mobilité et le logement. Il est aujourd’hui impossible de faire du durable avec l’existant, et impossible de créer des transports en commun et de réaliser des rénovations thermiques des bâtiments à grande échelle d’ici à 2030. Eric Adamkiewicz le confirme, le CIO a imposé la date de 2030 mais cela n’est pas tenable. Les chantiers ne pourront être réalisés dans un temps si court. La loi olympique ne permet pas de contraindre le temps, ni le temps de travail, ni la durée d’une journée, ni le temps d’approvisionnement résultant de la pénurie des matériaux. Les JO ne seront donc certainement pas « verts » au niveau des déplacements et des logements. Quant au développement du tourisme, Eric Adamkiewicz rappelle qu’après les JO d’Albertville, entre 92 et 98, la Savoie a perdu des touristes suite à la montée en gamme du territoire et donc de l’augmentation des prix.
Quant à Antoine Pin, il pose, au travers de la tribune qu’il a co-rédigée, les conditions environnementales pour des Jeux compatibles avec le respect des limites planétaires et bénéfiques pour les populations et les territoires. Ces indicateurs permettront d’évaluer si la proposition des JO permet de faire de vrais jeux durables. Et il interroge sur ce que nous, collectivement, ferons si jamais les jeux ne répondent pas à ces critères.
Tourisme et logement
Karine Bui-Xuan Picchedda relève également des paradoxes concernant la ville d’Annecy. Un certain nombre d’habitants se plaignent du trop grand nombre de manifestations sur la commune. Les JO 2030 auront un impact sur la ville et en seront donc un nouveau. Et comment réduire les meublés de tourisme pour que les Annéciens puissent se loger si AirBnb est sponsor de l’évènement ?
L’or blanc
Alors comment parvenir à créer des JO qui prennent en compte également la question du dérèglement climatique ? Comment imaginer qu’en 2030, il neigera davantage qu’en 2024, alors qu’on voit en ce moment même un manque cruel de neige ? Comment imaginer faire rêver des jeunes lors de ces compétitions sportives alors qu’ils ne pourront pas skier 5 ans plus tard par faute de neige ?
Pour Fredi Meignan, il est essentiel de travailler sur une vision avant la candidature et actuellement ce n’est pas le cas. L’annonce a été faite mais il semble qu’aucune réflexion n’a été menée en amont alors que la situation est inédite. Pour lui, il n’est plus possible aujourd’hui de réduire la montagne à un stade en pente ! Le projet en l’état n’est pas acceptable car irréfléchi et mené sans concertation avec la population. Alors qu’il faudrait justement repenser les territoires, repeupler les villages de montagne à l’année, créer des modèles alternatifs avec un tourisme plus en lien avec la vie des territoires. Il souligne également que le ski n’est qu’une partie de l’activité économique, la majorité du CA des montagnes est réalisée en dehors des stations.
Pour Gaëtan Gaudissard, de nombreux facteurs comme la biodiversité, le niveau des ressources ou la question des inégalités sociales sont à prendre en compte. L’Olympisme n’est pas compatible avec les accords de Paris. Enfant de la montagne, il l’a vu évoluer rapidement, passant de 365 jours de ski par an à seulement 6 mois par an désormais. Il en témoigne à travers ses films. Même si, selon lui, le sport est fédérateur et essentiel à notre équilibre, il invite à une nouvelle façon de penser les compétitions sportives qui seraient justement, moins axées sur la compétition.
L’avis des citoyens
Il est désormais primordial d’informer et de demander l’avis des citoyens. Ce n’est pas à une seule catégorie de personnes de décider, on n’a d’autre choix que de coopérer avec le plus d’acteurs possible.
Antoine Pin propose la signature d’une tribune avec 17 critères incompressibles pour que les jeux soient respectueux de l’environnement, pour Valérie Paumier, il faut dénoncer massivement, rejoindre des collectifs, s’engager en politique, tracter, en discuter avec le plus grand nombre, pour d’autres encore, le changement devrait venir des participants aux jeux. Mais tous sont d’accord pour dire qu’il faut un élan collectif, qu’une co construction est nécessaire. On s’en sortira ensemble ou on ne s’en sortira pas, affirme Fredi Meignan.
Alors à quand un référendum ?
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*Éric Adamkiewicz, Maître de Conférences en Management du Sport et Développement Territorial
Gaëtan Gaudissard, skieur professionnel et réalisateur
Fredi Meignan, gardien de refuge, Vice Président Mountain Wilderness France
Valérie Paumier, Fondatrice de Résilience Montagne
Antoine Pin, Directeur de Protect Our Winters (POW)
Romain Riboud, skieur professionnel handisport